Pour La Dignité de la Femme

Pour La Dignité de la Femme

Quand les femmes s'éveilleront... par Valérie Colin-Simard

Quand les femmes s'éveilleront...

Par Valérie Colin-Simard

"Depuis que j'ai entamé ce chemin, j'ai découvert sur ma route bien d'autres femmes semblables à elle, à moi. Elles luttent, elles se battent, elles se coupent de ce qu'elles ressentent. Pour rester à flots. Pour exister socialement. Pour pouvoir continuer d'avancer." 31 mars 2008

Et si le féminisme ne leur avait apporté que le droit d'être des hommes ? Dans tous les domaines, elles se sont adaptées à des schémas masculins : comme les hommes, elles parviennent à se montrer actives, conquérantes, dominatrices. Pourtant, les « valeurs du féminin » (douceur, capacité d'écoute, expression de ses émotions...) sont indispensables à leur équilibre autant qu'à celui de la société. Vers un nouveau féminisme ? La psychothérapeute Valérie Colin-Simard nous montre combien le « féminin » est vital, nécessaire à l'équilibre physique et psychique. « Oser le féminin », c'est ne plus seulement vouloir être rentable, efficace, accumuler des biens et des pouvoirs. C'est aussi assumer la vulnérabilité, accepter la passivité, savoir recevoir et pas seulement donner. C'est encore choisir d'écouter l'autre et de privilégier la négociation plutôt que la force. C'est pouvoir être une femme sans être une mère. La génération de l'après-féminisme osera-t-elle réhabiliter le féminin ?

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Quand les femmes s'éveilleront, dont le titre initial, du moins dans l'esprit de celle qui nous livre ainsi à la fois ses confidences et les fruits d'une enquête, était : Dieu est aussi une femme. Aujourd'hui psychothérapeutique, Valérie Colin Simard a été journaliste pendant plus de vingt ans. Elle a démarré à Canal + en présentant la revue de presse puis les flashs d'informations. Elle a ensuite travaillé à TF1 et M6 avant de rejoindre Le Point, Elle et Psychologies magazine. Elle est l'auteur de six ouvrages, mais Quand les femmes s'éveilleront est son premier livre basé sur son expérience de psychothérapeute et c'est une réussite.

Voici un article sur le livre de Valérie Colin-Simard écrit par Monsieur Laurent Ladouce, journaliste. 

Femmes éveillées pour une nouvelle alliance

Dans le Jardin d'Eden, il n'est « pas bon que l'homme soit seul ». Ce n'est pas meilleur pour la femme actuelle, semble répondre la psychologue Valérie Colin-Simard. La femme comblée dont elle parle n'a pourtant pas à se plaindre. Sauf que si elle a (presque) tout, elle sent qu'elle n'est rien. Colin-Simard a écrit le livre sur « la femme sans qualité ».

Pour remédier à la situation d'Adam, Dieu fait tomber sur lui une torpeur, et à son réveil, une merveilleuse créature se présente : Eve.

Valérie Colin-Simard se place un peu dans le scénario inverse. La solitude épuise les femmes, et les amène au cabinet de Valérie, qui leur propose de les mettre dans une certaine torpeur temporaire. Certaines se rebiffent, mais finissent par accepter. « Quand les femmes s'éveilleront » ne dit pas exactement ce qui attendra les femmes à leur réveil. L'auteure annonce une nouvelle alliance, entre valeurs masculines et valeurs féminines.

En attendant ce réveil de la nouvelle Eve, son livre nous dit ce que la femme seule devrait retrouver dans sa torpeur : sa féminité. Son ouvrage évoque la réappropriation du féminin. Il faut pour cela, dit-elle, que « la femme cesse d'être un individu qui raisonne pour devenir une personne qui résonne ». Un gros travail sur soi devra se faire pour transformer la solitude négative en originalité positive et créatrice.

La destinée a préparé Valérie Colin-Simard à comprendre et soulager la solitude des autres, en particulier des femmes. Sa grand-mère se suicida et son père ne se releva pas d'un grave accident cérébral. Lancée tôt dans la vie, elle embrassa la carrière de journaliste, métier très individualiste. Entrée en grave dépression vers l'âge de 25 ans, elle en sort peu à peu et se marie à 30 ans, quittant son métier pour se consacrer totalement à son fils. Ces cinq années de « retraite » s'accompagneront d'une expérience spirituelle décisive, mais solitaire. Valérie rencontre un Dieu qui ne la quittera plus, mais sans la mener à une bergerie particulière, même si l'auteure se montre érudite en foi chrétienne. Divorcée à 35 ans, elle se lance dans une nouvelle vie, et devient psychothérapeute à l'âge de 40. Le destin semble donc lui avoir fait connaître diverses « stations » de la condition féminine, de la « célibattante névrosée » à « la femme au foyer inassouvie » en passant par la bien-aimée de Dieu cherchant un foyer de communion qui n'ait pas l'étroitesse d'une chapelle.

Son livre parle donc essentiellement de l'expérience féminine de la solitude, de ce moment où la femme se retrouve seule au monde, où les masques tombent, où la comédie sociale s'arrête soudain. Un moment particulièrement douloureux, de véritable mue pour toutes les femmes dans cette situation et que Valérie Colin-Simard essaie d'accompagner discrètement mais fermement. Son travail est de ramener la femme vers autrui, et en particulier vers son compagnon masculin, pour une nouvelle alliance heureuse du masculin et du féminin.

Mais attention, pas à n'importe quel prix. Car notre psychologue croit en Dieu et en Sa parole, toute Sa parole. Elle se souvient que si le récit de la torpeur d'Adam est le dernier mot de Dieu en ce qui concerne la création du couple, ce n'est pas le seul, ce n'est pas forcément le plus important. Et la nouvelle Alliance qu'elle propose n'est pas seulement entre l'homme et la femme, mais implique aussi le transcendant.

La création d'Adam et Eve dans le livre de la Genèse est l'objet de deux récits qui transmettent des messages différents, mais complémentaires. Pour simplifier, l'un des deux récits nous présente la femme comme la compagne à la fois biologique et sociale de l'homme, créée et voulue par rapport à Adam comme axe central de sa vie. « Il n'est pas bon que l'homme soit seul » et donc Dieu lui crée une compagne tirée de sa côte, qui va le réjouir : « C'est l'os de mes os, la chair de ma chair ». Ici, la femme existe par le regard et le désir de l'homme, par la joie intense qu'elle lui procure.

Ce récit est toutefois précédé d'un autre récit où Adam et Eve sont tous deux tirés d'une même origine, et ont tous deux pour statut d'être, conjugalement, l'image de Dieu. Il est dit que Dieu créa l'être humain à Son image, à l'image de Dieu Il le créa, homme et femme Il les créa (Gn 1, 27) C'est d'ailleurs ce passage que l'auteure met en exergue de son livre.

A quoi sert-il à une femme de gagner le monde, si elle perd son âme ? 

Dans ce livre, le portrait-robot de la femme seule n'a rien d'une pauvre victime pleurnicharde, loin de là. Cadres supérieures, chefs d'entreprises, professions libérales, c'est plutôt un défilé de maîtresses-femmes qui maîtrisent tout, contrôlent tout, possèdent tout ... sauf elle-même. « Nous sommes entraînés dans la spirale des P : productivité, performance, pouvoir et possession » souligne l'auteure pour se moquer gentiment de ses sœurs qui ont tellement conquis de bastions masculins qu'elle sont devenues des caricatures d'hommes. « Beaucoup de mes patients ont un travail, ils ont parfois une compagne ou un compagnon. Ils ont un enfant, de l'argent, une maison. Ils ne sont pas heureux et ne comprennent pas pourquoi. »

Elle parle avec justesse de ces femmes qui, se croyant « affranchies du patriarcat », donnent tout à leur entreprise et à ses valeurs masculines de compétitivité et de rentabilité. En cherchant à se libérer et à être l'égale de l'homme, la femme moderne finit souvent par s'aliéner à un monde où les deux sexes sont si égaux en dignité et en droit que l'un des deux a disparu. Dans une première partie de son livre intitulée « le crépuscule du patriarcat », Valérie Colin-Simard appelle son premier chapitre « le féminin déserté ». On est donc dans un match qui est loin d'être gagnant-gagnant mais où tous ont perdu quelque chose. « A quoi sert-il à une femme de gagner le monde entier, si elle perd sa propre âme ? » est un pastiche de Marc 8. 36 que vous ne trouverez pas dans le livre de Valérie mais qui résume bien la situation de pas mal de ses patientes. a

Son livre montre aussi les contradictions de beaucoup de jeunes femmes libérées et émancipées. On découvre plusieurs femmes diplômées, brillantes, riches et parfois célèbres. Leur carapace cache un véritable cœur de midinettes. Faussement sûres d'elles-mêmes, bien des jeunes femmes brûlent de tomber dans une dépendance affective qui comblera leur manque intérieur. Elle cite ces propos d'un homme de 31ans, chef de publicité :

« Je m'aperçois, que le week-end, des filles qui ont tout pour elles ont regardé la télé pendant 24 heures. C'est désespérant. Ces femmes là rentrent seules chez elles le soir. Elles sont claquemurées dans l'univers qu'elles se sont construites. Elles sont dans leur tour d'ivoire et n'ouvrent aucune issue pour qu'on vienne les chercher. Elles sont comme des princesses que personne ne viendrait délivrer ; elles sont restées romantiques, fragiles, elles attendent le grand amour. Peut-être qu'elles ont fermé une porte de trop. »

Le livre de Colin-Simard donne plusieurs éclairages sur le paradoxe de la femme toute-puissante et fragile. Tout d'abord, elle montre que si les femmes ont conquis leur place en société et profité de l'égalité des chances, c'est souvent au prix d'un fossé énorme entre une image artificielle de la réussite extérieure, sociale, et des élans émotionnels profonds, féminins, mais non cultivés, et restés immatures. Une progression sociale de toutes les femmes, une régression générale de la féminité en somme. Faute de travail sur soi, beaucoup de femmes ne vivent leur féminité en couple que de façon fugitive et sommaire. Tête de femme forte, et cœur de petite fille en quelque sorte.

Elle fait aussi un long détour par l'histoire et l'hérédité. Si la société actuelle émancipe les femmes et les livre au grand monde, bien des femmes portent inconsciemment en elles des stéréotypes très anciens. Bien des femmes portent donc en elles deux images contradictoires : celle de la femme moderne qui doit tout faire par elle-même, et une « vieille histoire », où la femme ne trouve le bonheur qu'avec un compagnon charmant et idéalisé ou en mère toute-puissante.

Le livre de Colin-Simard nous ramène souvent au même paradoxe de la femme moderne : devenue tellement libre et maîtresse d'elle-même par choix autant que par opportunité, qu'elle n'a plus le droit de se plaindre, et doit sans cesse fuir en avant pour ne pas s'avouer son échec. Elle fait plusieurs fois le récit de mères de famille débordées, harcelées par leurs tâches ménagères et leurs enfants, mais qui, pour rien au monde, ne se feraient aider par leur compagnon. L'auteure désigne ici une « triple illusion : celle de notre toute-puissance, celle que nous sommes parfaites, et celles d'être aimées si nous le sommes. »

Colin-Simard n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat. Elle parle de ces temps archaïques marqués par le matriarcat, où l'homme était pour ainsi dire inexistant. Seule comptait la femme toute-puissante, car donnant la vie. C'était l'époque des déesses mères. Elle nous ouvre les portes de nombreux foyers français où la femme s'est peu à peu installée dans le rôle de femme active débordée, qui fait tout à la maison et n'a besoin de personne, qui a infantilisé son mari et n'a plus qu'un seul rôle à la maison : celle de la Maman pour tous. Certains seront surpris d'apprendre sous sa plume que dans bien des foyers, le couple finit ainsi par devenir presque asexué, l'homme infantilisé et la femme toute puissante perdant le goût de l'intimité sexuelle, d'un moment où les rôles traditionnels reprendraient un peu le dessus avec une femme qui accepte de s'ouvrir et de laisser l'homme venir à elle. Son livre montre une grande misère affective et sexuelle de la famille française.

Dans un passage cruel intitulé De la Déesse mère à la servante, Colin Simard qui semble parler d'elle-même évoque une journaliste talentueuse qui à 30 ans se marie, est enceinte, et passe d'un extrême à l'autre. De la femme hyperactive à la femme au foyer, avec les mêmes tares de caractère : « J'ai accouché d'un magnifique petit garçon. Etait-ce pour dissimuler ma vulnérabilité ? Ma vision de la maternité était idéale, abstraite. Parfaite. Pour tout dire inhumaine. Lorsque nous ne nous sentons pas à la hauteur, nous empruntons souvent le pouvoir magique des archétypes pour compenser ce que nous imaginons être nos lacunes. Je me suis identifiée à la Grande Déesse Mère universelle et toute puissante. Du haut de son piédestal, elle voit les hommes, tous les hommes, comme des enfants dont il faut prendre soin, qu'il faut protéger. Pour la Grande Mère, seule compte le devoir. Le dévouement aux autres. Elle donne, donne encore ... C'est la raison pour laquelle la Grande Déesse Mère peut, en un éclair, se transformer en grande victime. » L'auteure décrit ensuite la descente aux enfers d'un couple parti sur des bases aussi morbides.

Le sexe n'est pas une fonction mais un mode d'être.

Les diagnostics de Valérie Colin-Simard sur les maux féminins actuels sont divers. Solitude, mythe de la toute puissance, poids des stéréotypes et de l'éducation, fragilité des relations, c'est un cahier des doléances de la femme après la révolution sexuelle. Que propose-t-elle ? Avant tout, elle propose aux femmes de redécouvrir et d'aimer leur féminité enfouie en elles-mêmes. Cela se fait souvent dans les pleurs et grincements de dent, et l'auteure nous fait penser à Socrate qui accouchait les âmes dans la douleur.

Aimer le féminin, c'est peut-être relire l'autre récit biblique de la création de la femme, celui où elle vient non pas de l'homme et pour l'homme, mais ... de Dieu, avec l'homme.

Dans le récit où la Côte d'Adam engendre la femme, elle donne à celle-ci une fonction et un rôle social précis, dans un monde où l'homme constitue le soleil et la femme son satellite. Les deux êtres apparaissent comme issus de la terre, portés par elles, et destinés à créer une société où « l'homme quitte son père et sa mère et s'attache à sa femme ». Nous sommes dans un récit qu'on peut qualifier de réaliste et qui insiste sur les définitions à la fois biologiques et sociales de la femme. « Ils deviennent une seule chair ». Ce récit « réaliste » et naturaliste donne une grande place à l'ordre et à la sécurité, une petite place à la liberté. La femme y est mise en situation et n'a pour ainsi dire pas d'existence par soi ni pour soi. Les femmes qui consultent Colin-Simard sont souvent des atomes existant par eux-mêmes, mais vidées d'en-soi et n'ayant plus de pour-autrui.

Dans le premier récit, être femme n'est pas une fonction naturelle ni sociale. Avant d'être une créature utile à l'homme, la femme est un être nécessaire en soi et pour soi. Elle est l'être par lequel, en partenariat désintéressé avec l'homme, l'Etre originel Se rend visible. Alors que l'un des deux récits place Adam et Eve dans un contexte où leurs rôles sont tracés d'avance, le tout premier insiste sur la liberté de deux êtres qui sont quasiment seuls au monde, dans un dialogue avec Dieu. D'où vient la femme ? de la féminité de Dieu.

Colin-Simard invite donc la femme à retrouver son être divin, au-delà des données de la biologie et des conditionnements de la société.

Si la première partie du livre expose des maux de la femme actuelle et diagnostique ses pathologies, la deuxième, intitulé Sept grands principes du féminin, esquisse des remèdes pour ramener la femme vers sa féminité.

Son premier conseil aux femmes est d'oser la passivité, définie comme un véritable effort pour savoir s'écouter soi-même et écouter autrui. Elle évoque cette épouse qui, au lieu de reprendre inutilement son mari et de lui répondre du tac au tac, décide de se taire. Et ce silence est bien plus utile pour aider l'homme à se remettre en cause que de lui asséner une vérité qu'il n'entend pas. Plus profondément, Colin-Simard s'en prend à l'action qui tourne à l'agitation et à l'activisme. La femme peut retrouver sa féminité en devenant une personne réfléchie et posée dans un monde trop frénétique. Elle cite aussi le cas spectaculaire des femmes de Pereira en Colombie qui décidèrent de faire la grève du sexe pour obliger leurs maris à déposer les armes. Femmes de glace contre armes à feu, la recette a marché, les hommes ont préféré jeter leurs fusils pour que leurs épouses leur ouvrent à nouveau les bras.

Elle conseille ensuite d'oser la vulnérabilité, « de reconnaître ses limites pour sortir de la toute-puissance ». Alors que la personne qui croit pouvoir y arriver toute seule fait le vide autour d'elle, celle qui redoute ses limites va trouver sa force dans les liens. Elle cite le cas étonnant d'une femme forte au bout du rouleau, qui va rebondir dans sa carrière en se tournant vers sa mère dont elle avait voulu s'affranchir. La maman et la fille vont se retrouver pour un lien profond qui aidera la fille à entreprendre un tout nouveau métier où elle réussira non par ses compétences mais par son sens des relations.

En troisième lieu, elle invite les femmes à ne pas confondre féminité et maternité. Certaines femmes ont le chic de se tromper sur leur vocation et croient toujours bon de trouver leur place de femme en jouant la mère universelle adulée et mise sur un piédestal. Ces femmes qui n'en peuvent plus de se dévouer aux autres peuvent se mentir sur elles-mêmes et tromper leur entourage. L'auteure invite donc la femme à être d'abord elle-même, à trouver son identité de femme avant de se jeter à corps perdu dans le « rôle en or » qui peut la perdre : celui de la mère parfaite.

Quatrièmement, elle invite à apprendre la réceptivité ; « la vie est un échange permanent. Comme l'inspiration et l'expiration, donner et recevoir sont un seul et même mouvement, deux étapes d'un même cycle. » Elle rappelle que l'arbre s'enfonce dans l'humus et se cache pour mieux s'élancer vers le ciel, que l'hiver précède et annonce le printemps. Qu'une femme doit d'abord se laisser pénétrer par la semence masculine si elle veut un jour porter un enfant.

Le cinquième principe est de retrouver le contact avec les émotions et leur langage. Et elle cite fort à propos les grands enseignements de Marshall Rosenberg sur la communication non-violente qui montrent l'importance de ne pas objectiver les choses – « C'est bien, c'est mal » – mais de dire ce que l'on ressent : « je n'aime pas cela, je n'ai pas envie de ceci. »

Le sixième principe que préconise l'auteure est d'oser se donner de la valeur, sans passer par le regard laudatif ou dépréciatif des autres. « Nous avons à faire le tri entre les valeurs que nous voulons garder, celles que nous souhaitons relativiser, celles que nous désirons rejeter. » Elle invite la femme à aller vers l'intériorité, vers l'intime, à retrouver ses aspirations et désirs profonds sans céder à toute la gamme des devoirs stéréotypés et convenus. « Être capable d'intimité avec l'autre, c'est d'abord être capable d'intimité avec soi-même (...) avoir trouvé en soi un centre capable d'accueillir et d'accepter la coexistence de toutes les parties de soi. »

Dans cette liste de principes, l'amour a le dernier mot, et Colin-Simard propose, enfin, de choisir d'aimer. Constatant que « beaucoup d'entre nous sont devenus des handicapés relationnels », et que « nous agissons souvent comme si nous étions des cellules isolées les unes des autres », elle invite les femmes à retrouver le sens du lien avec autrui, même si cela passe par une phase de souffrance.

Suggestions pour une nouvelle alliance

Valérie Colin-Simard dresse un tableau franc de la situation de beaucoup de femmes actuelles. Tableau sans fioriture, à la lumière crue mais pas cruelle, et toujours chaleureuse ; l'auteure aime les femmes et leur tend un miroir qui écorchera certains ego, mais dit la vérité sans détour. La psychologue n'est jamais sûre d'elle, et on la sent en constante recherche de la bonne attitude plus que des bonnes paroles.

Elle n'a pas du tout cherché à écrire le livre parfait sur cette question, mais plutôt à mettre beaucoup de son vécu et de son expérience professionnelle au service de problèmes très réels et souvent douloureux.

Son livre appelle à notre avis une évolution où elle nous en dira plus sur cette nouvelle alliance. « Quand les femmes s'éveilleront ... » donne des clés de travail sur soi à beaucoup de femmes pour qu'elles retrouvent leur identité, leur dignité, leur être profond derrière les masques de la fonction sociale. Mais l'ouvrage ne nous dit pas vraiment ce que pourront faire les femmes une fois éveillées, dans une nouvelle alliance avec les hommes. Nous aimerions ici faire quelques suggestions à l'auteure.

Tout d'abord, nous sentons que son prochain livre pourrait être un livre à deux. Après un livre sur les hommes (Nos hommes mis à nu, 2004) et celui-ci sur les femmes, Colin-Simard pourrait se lancer dans un ouvrage co-écrit par un homme et par une femme et qui nous parlerait d'un « nous-deux » d'un projet masculin-féminin pour rendre le monde meilleur. Nous le pensons d'autant plus que le livre de Colin-Simard nous a paru inégal. Sa partie « féminine » où elle part de son vécu, de cas concrets et précis, est souvent irrésistible et touche juste. On sent toute l'autorité naturelle de la sagesse féminine. Par contre, les chapitres où elle développe des analyses théoriques, avec beaucoup de notes de bas de pages et de citations, les chapitres plus abstraits et « masculins », ne nous ont pas toujours paru très novateurs ni très bien argumentés, malgré l'intérêt évident des sujets traités. Un ouvrage à deux voix, celle de l'homme et celle de la femme, serait la juste continuation des hommes à nu et des femmes qui s'éveillent.

Ensuite, nous voudrions inviter l'auteure à distinguer les notions de genre et de sexe. Sous l'influence utile des auteurs anglo-saxons, on distingue le genre (masculin/féminin) qui est souvent une construction sociale et culturelle plus ou moins arbitraire, du sexe (mâle/femelle). Quand l'auteure souligne que « Simone de Beauvoir a réhabilité l'image des femmes dans la société, pas dans leur intimité. Nous les femmes continuons de renier notre femme intérieure », elle souligne que les victoires extérieures et sociales du genre féminin, parfaitement légitimes, se sont accompagnées d'un recul du sexe féminin. Paradoxalement, la société actuelle, malgré le sexe qui déborde de partout, a besoin d'être réenseignée en profondeur sur la signification de la sexualité. Si l'auteur fait un livre à quatre mains, nous lui proposons d'aborder ces sujets par exemple un dialogue avec un théologien sur Genèse 1 . 27, ou avec un philosophe ayant le sens des questions ontologiques ou métaphysiques.

Notre troisième suggestion touche à la grande oubliée du tableau familial que propose Colin-Simard. Son livre fourmille de grands-mères, de mamans, de filles et d'épouses, de célibataires, mais on a l'impression que les sœurs sont absentes. Que se passe-t-il entre les frères et les sœurs, ou bien entre sœurs, quel est le rôle du lien fraternel dans la construction de la féminité, voilà ce qu'il aurait été intéressant de savoir. Par exemple, pourquoi deux filles éduquées par les mêmes parents vivront leur féminité de façon diamétralement opposée ?

Le dernier point touche à la définition même du féminin. Si les sept points énumérés par Colin-Simard pour aider les femmes à se réapproprier leur féminité sont utiles, on ne voit pas très bien à la fin du livre ce qu'est la féminité. L'auteure parle de valeurs féminines. Quand bien même il y en aurait, il s'agit d'abord de mieux cerner la nature féminine, l'être féminin. Qu'est-ce qui différencie la femme de la femelle, par exemple ? Dans la Bible, Eve est présentée assez crument comme la femelle des femelles, la suprême créature femelle, tout comme Adam est le mâle de tous les mâles. Mais qu'est ce qui fait que les deux sont aussi, et en même temps, et eux seuls, l'image de Dieu, le fils et la fille de Dieu ?

Ici, nous touchons à un point trop délaissé par l'auteur. Elle parle bien de la dualité du yin et du yang, et dit à leur sujet des choses justes. Mais dans la Bible, et dans la tradition occidentale, la toute première définition de l'être humain, c'est qu'il est un argile dans lequel le Créateur a insufflé une haleine de vie, une âme. Et souvent, nous nous sommes demandé si l'auteure ne faisait pas une certaine confusion. Les femmes souvent fragiles et désorientées dont elle parle ne souffrent pas tant d'un déficit de féminité que d'un manque d'humanité. Elles ne vivent pas tant un conflit du yang et du yin qu'un divorce grave de l'esprit et de la chair.

Plusieurs personnages de son livre sont des personnes immatures plus que des femmes blessées. Son livre touche souvent plus à la condition humaine qu'à la condition féminine, et au désarroi de « l'homme sans Dieu » de Pascal, de « l'homme sans qualité » de Musil.

Son livre brosse le portrait d'une société où l'éducation n'a pas rempli sa mission : elle a formé des individus performants, talentueux, compétents, mais ne sait plus comment créer des personnes profondes, épanouies, ayant une vraie gravité virile ou féminine. Car la société actuelle n'est pas la société patriarcale ou masculine que décrivent certains, et n'est pas non plus l'État Maman que décrivent d'autres. C'est surtout une société décérébrée et sans cœur où peu d'hommes ont une majesté de roi et peu de femmes une majesté de reine, alors que c'est l'excellence vers laquelle il faut tendre. Tony Anatrella a justement parlé de la société adolescentrique, où la véritable maturité du cœur et du caractère est devenue rare. Nous espérons que pour son prochain livre, une Valérie Colin-Simard au mieux de sa féminité nous brossera avec un Monsieur une esquisse de société où le couple aura retrouvé toute sa place, depuis la conjugalité et l'intimité du « toi-et-moi » jusqu'au rayonnement public du « nous deux. »

Valérie Colin-Simard, Quand les femmes s'éveilleront, Albin Michel 295 pages,

 

 



11/10/2008
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