La dignité de la femme par Sabine Bourgeat
La dignité de la femme
Par Sabine Bourgeat
Le statut et l'identité de la femme ont toujours été méconnus. C'est du fin fond des âges que remonte la peur du Féminin, que les différentes cultures ont toujours « instinctivement » cherché à mettre sous le boisseau, comme pour ne pas déroger à une Règle, rarement explicite voire même pas toujours consciente. Mais quand nous parlons d'une peur du Féminin, nous nous trompons gravement en croyant que ceci ne concerne que l'attitude des hommes envers les femmes, comme 2 entités opposées…
Réaliser une alchimie du masculin et du féminin
C'est dans la Bible qu'il faut aller chercher la source de cet éternel malentendu ou refoulement au sujet du Féminin et du Masculin, supposés inégaux ou en rivalité dans l'inconscient collectif. L'expulsion du jardin d'Eden d'Adam et Eve a suscité bien des hantises dans le christianisme, voyant là la Femme comme « la » séductrice, dangereuse, qui éconduit l'homme du droit chemin. Seulement une interprétation du Talmud voit plutôt là une mauvaise communication entre Adam et Eve. Entre l'interdit de manger du fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal énoncé par Dieu à Adam, et la transgression de cet interdit par Eve tout d'abord, manque la transmission dudit interdit divin d'Adam à Eve. Il ne lui avait donc rien dit… Ou alors il avait mal transmis l'information, oubliant peut-être que cet interdit venait de Dieu, et non de lui… Le mal qui sépare le couple ici a-t-il pris tant de rides que cela ? Le manque de communication n'est-il pas le mal de l'humanité, aujourd'hui plus encore qu'hier ?
Car les revendications féministes très politiques, dans les années 70, ont sans doute contribué à accentuer l'idée d'une opposition de nature et de culture entre la Femme et l'Homme. Devons-nous faire de nos différences une division, une opposition ? Là encore, la Bible, étonnamment moderne, peut être éclairante sur l'origine de ce Malentendu ancestral : Eve a été créée de la côte d'Adam pour les uns, du côté d'Adam pour les autres, plus proches du texte hébreu. Quoiqu'il en soit, Adam ne s'écrie-t-il pas, ravi : « Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair !
Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l'homme, celle- ci[1] ! ».
Une vision toute patriarcale de ce texte, fondateur de la culture judéo-chrétienne, voire aussi musulmane, a projeté sur ce point un rapport quantitatif d'inégalité entre l'homme (une personne), et la femme (simple partie d'une côte d'Adam)… N'était-il pas plutôt question de l'étroite complicité, proximité du Féminin et du Masculin ? N'était-ce pas la voie à trouver d'une alchimie, d'une unité originelle du Féminin et du Masculin qu'il s'agit de reformer psychiquement ? A voir le manque de communication, la solitude croissante des individus aujourd'hui, les consultations thérapeutiques qui explosent ces 15-20 dernières années – à en croire les statistiques des médias -, on peut avancer l'hypothèse que nous sommes encore très loin de cette unification intérieure de nos contraires, dont nous n'avons que peu conscience. Est-ce à dire que l'homme doit prendre conscience qu'il comporte en lui un pôle féminin et un pôle masculin (l'anima et l'animus dont parlait Jung), et de même pour la femme ? Ce qui porte encore atteinte à la dignité de la Femme, et ce qui handicape l'Homme d'une partie de lui-même, n'est-ce pas l'ignorance de ce que chacun abrite en lui-même, croyant devoir arracher à l'autre ce qui lui a été confisqué ? Tant que je convoite la masculinité de l'autre, en ignorant que j'en ai une en moi-même, je ne peux qu'entretenir un climat tendu, parfois même agressif, envers l'autre. Et l'Homme, victime de la même inconscience, se hâter de rabaisser ou de minimiser ce que la Femme réclame, qui n'appartient qu'à lui…
Redécouvrir le spirituel (le Féminin) refoulé en nous
En connaissant, et en approchant nos textes bibliques de manière moins littérale, en informant davantage, en enseignant leur contenu initiatique encore méconnu, quand ça n'est pas censuré par l'Eglise, on s'apercevrait sans doute que Jésus (et il n'est pas le seul Messager concerné), nous a laissé des paraboles que nous serions à même d'entendre et de comprendre plus tard. Une femme a assisté à la Résurrection de Jésus, et croit en ce phénomène sans s'en effrayer le moins du monde. Cette Femme, c'est Myriam de Magdalena (appelée aussi Marie-Madeleine), qui, dans le manuscrit apocryphe de L'Evangile de Marie – jugé hérétique par l'Eglise catholique – a reçu des enseignements secrets de Jésus. Des enseignements à elle seule, et que la misogynie de Pierre lui conteste : « Simon Pierre lui disait :
Que Marie sorte de parmi nous
parce que les femmes
ne sont pas dignes de la Vie. »
Jésus répondit :
« Voici que je la guiderai
Afin de la faire Homme [Anthropos].
Elle deviendra, elle aussi,
un souffle vivant semblable à vous, Hommes.
Toute femme qui se fera Homme
Entrera dans le Royaume de Dieu[2]. »
Les traducteurs ont traduit homme par mâle (d'où l'effet de censure immédiate de l'Eglise d'une telle ineptie !). Le théologien J.-Y. Leloup se réfère au terme grec « anthropos », qui signifie « humain en général », « pleinement humain », « humain à part entière »… La Femme, confidente de l'enseignement ésotérique, spirituel, de Jésus, a un autre accès à la connaissance que l'homme, davantage axé sur la raison. L'intuition, l'imagination inspirée, sont à tort le privilège de Marie, croit Pierre, comme l'a cru toute l'humanité, jalouse de cette supériorité usurpée de la Femme, qui doit savoir rester à sa place… C'est-à-dire silencieuse, soumise, ou qualifiée d'hérétique (de sorcière au Moyen Age). Or ce que Jésus nous rappelle ici, c'est que nous avons tous en nous un Homme intérieur (psychique), un Homme essentiel, distinct de notre corps. Dès lors que l'Homme comprendra que lui aussi doit retrouver ce Féminin en lui (non violent, imaginatif, intuitif, spirituel), alors il n'aura plus besoin de rabaisser la Femme ou de la mettre sous le boisseau. Ni jalousie, ni opposition, mais complémentarité au-delà de leurs différences. Ni rivalité, ni rien d'extérieur à conquérir, si ce n'est ce qui est déjà en nous… « C'est à travers cette humanité que Dieu se révèle[3] »…
Il s'agit, plus quotidiennement, de dépasser une vision de la masculinité et de sa virilité comme inhérente au pouvoir extérieur, à l'agressivité, et à la maîtrise d'événements extérieurs. Assumer son pôle féminin, ce n'est pas, et n'a jamais été, se déviriliser. Alors il accordera le droit et la reconnaissance, à la femme, d'assumer la part de Féminin et de Masculin en elle, qui n'est ni esclave ni impératrice, mais tout simplement Elle, elle-même.
Le droit de la Femme à la connaissance
La connaissance est dans l'imaginaire collectif encore souvent associée à la science, au pouvoir, soit à un univers essentiellement masculin. Une femme travaillant dans ces sphères, même acceptée et accueillie, sera souvent perçue comme un tant soit peu « masculine », masculinisée, un peu au détriment de la Séductrice qu'elle est censée être, tout en étant coupable de détourner les Hommes de leur supposée innocence. Loin d'être personnelle, cette vision des choses est également inscrite dans le Nouveau Testament, qui qualifie Marie-Madeleine – sans que l'on sache pourquoi, ni de quoi elle s'est rendue coupable – de « pécheresse[4] ». Tantôt confondue avec cette pécheresse qui parfume les pieds du Christ, tantôt mère de Jésus, tantôt sœur de Marthe et de Lazare (Marie de Béthanie), la tradition chrétienne a commis 2 contresens que la Femme a payés cher :
1°) si la proche disciple de Jésus, creuset d'un enseignement ésotérique qu'elle seule était à même de comprendre, est pécheresse, alors la culture judéo-chrétienne trouve là la justification d'une société où la connaissance est réservée aux hommes, où les femmes n'ont pas le droit d'étudier les secrets de la Thora ni d'officier dans les églises catholiques (le statut d'épouse de Dieu lui est autorisé, car la religieuse renonce à la maternité, à l'amour d'un homme et d'enfants… Foi ou punition de soi ?). Tant que l'accès à certains types de connaissances – scientifiques – est autorisé aux femmes, mais rien d'autre – comme ici, la connaissance de type prophétique ou visionnaire (touchant à la religion) -, alors la dignité de la Femme comme du Féminin ne sont que des mots. Myriam de Magdalena, l'initiée, la révélatrice des mystères, qualifiée de pécheresse parce qu'elle aurait eu accès à la connaissance ?
2°) plus grave est l'interdit implicite qui pèse – dans la tradition catholique en particulier – sur la libération de Myriam de Magdalena d'entraves intérieures par Jésus lui-même : « Les Douze l'accompagnaient, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies : Marie surnommée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons[5] (…). » J.-Y. Leloup soupçonne que toutes ces Marie qui jalonnent le Nouveau Testament pourraient n'avoir été que diverses facettes…de la même Femme (morcelée, divisée, par une lecture littérale des textes). Une évolution de la Femme, en sept étapes, pour devenir à la fois compagne, mère et amie de Jésus. Le Nouveau Testament, à la suite de l'Ancien, serait-il l'histoire intérieure d'un long chemin d'unification et d'intégration que nous devons tous réaliser en faveur de la paix (en soi, puis hors de soi) ? Myriam de Magdalena, une Femme donc, aurait été la 1ère à nous ouvrir la voie, en initiatrice qu'elle est. Une femme qui « ne s'enfermait pas dans un seul rôle ou dans une seule possibilité de relation avec Jésus », grand libérateur.
L'ère de la Nouvelle Eve n'est-il pas advenu ? Un Nouveau Monde, non pas utopique, idyllique, où le conflit n'existerait plus, mais un monde où nous accédons à un niveau de conscience supérieur, une claire conscience de notre identité duale (Féminin et Masculin) mais unifiée, un monde où nous apprendrions à résoudre d'abord nos conflits intérieurs avant d'en accuser l'extérieur, en quête de boucs émissaires ou de divertissements. Ne feignons pas d'avoir organisé ce chaos relationnel qui nous a dépassés depuis longtemps ; faisons–y face, au contraire, car la solution est en nous. L'enseignement de nos textes religieux permettrait à cet égard, de voir resurgir la dignité originelle de la Femme et du Féminin, de la Vulnérabilité librement acceptée, qui sont sans doute la clé d'un équilibre, d'un monde davantage en paix.
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