« Le statut de la Femme dans les Evangiles et les manuscrits apocryphes »
Table Ronde (12 avril 2008) - La dignité de la femme
« Le statut de la Femme dans les Evangiles et les manuscrits apocryphes » par Sabine Le Blanc
Le statut et l'identité de la femme ont toujours été méconnus. Il s'avère que les théologiens – toutes religions confondues -, ont été des hommes, se livrant à une interprétation toute patriarcale des textes religieux. A chaque fois qu'il y a été question de l'homme et de la femme, les théologiens, soucieux de préserver les privilèges sociaux et culturels revenant aux hommes par habitude, ont sans doute eu tendance à renvoyer dos à dos le masculin et le féminin, antagonistes depuis l'épisode de l'expulsion d'Adam et Eve du Paradis… C'est donc du fin fond des âges que remonte la peur du Féminin, que les différentes cultures ont toujours « instinctivement » cherché à mettre sous le boisseau, comme pour ne pas déroger à une Règle, rarement explicite voire même pas toujours consciente. Mais quand nous parlons du Féminin dans la Bible, nous nous trompons gravement en croyant que ceci ne concerne que le sexe féminin, à l'exclusion de l'homme… De même que le masculin, dont nous avons toujours pensé qu'il excluait…la femme. Telles 2 entités opposées…
La virginité de Marie réinterprétée : une réhabilitation du sexe féminin ?
L'Evangile selon saint Matthieu démarre sur la « Conception virginale de Jésus », associant la pureté de Marie, sa mère, à la virginité sexuelle. Réduire la pureté à la chasteté, à quelque chose de corporel, de sexuel donc, n'est-ce pas dénigrer indirectement la sexualité féminine ? Le sexe féminin serait-il un péché ? N'est-ce pas lui qui, au jardin d'Eden, aurait séduit Adam en le poussant à manger du fruit de l'Arbre de la connaissance du Bien et du Mal après tout ? Or le récit de la chute d'Adam et Eve du Paradis, ne l'oublions pas, est un mythe à valeur pédagogique, qui ne décrit en rien une réalité historique. C'est le choix des scribes qui ont rédigé la Genèse que de raconter cette Chute ainsi. Ce choix fut dramatique. Les retombées sur la responsabilité de la femme, Tentatrice, Séductrice, incarnation du Mal, allaient faire d'elle le bouc émissaire idéal des pulsions masculines, et la justification d'asservissements de la femme. Comment, lorsqu'on est une femme, ne pas culpabiliser – même inconsciemment -, d'un tel antécédent historique, ancien, inscrit dans tous les esprits judéo-chrétiens ? Que nous dit l'Evangile selon saint Matthieu sur Marie, symbole de la Femme ? « Or, avant qu'ils eussent mené vie commune, elle se trouva enceinte par le fait de l'Esprit Saint » (1, 18). Rien ne précise de quelle manière, ni une virginité sexuelle, si ce n'est que Joseph, son époux désigné, n'était pas le père de l'Enfant qu'elle portait. En voulant conserver la morale sauve, les théologiens pourraient bien avoir entaché la sexualité féminine, coupable par définition. Pourtant, la virginité de Marie, aux dires d'autres interprètes, serait ailleurs : à l'annonce de sa future grossesse, alors qu'elle n'avait pas encore rencontré le corps de son époux, elle s'étonne, mais croit pleinement ce que l'Ange Gabriel lui dit. Marie répondit : « Je suis la servante du Seigneur… ». Bernard This (Le père : acte de naissance), affirme à ce sujet qu' « être vierge, c'est être disponible. Elle s'offre : Qu'il me soit fait selon votre parole. » S'il s'agit plutôt d'une virginité d'esprit, alors « Jésus [ajoute-t-il], était déjà accueilli puisqu'elle s'offrait à la Parole ». Joseph, tout d'abord tenté de répudier Marie, accepte d'adopter cet Enfant et de l'élever, disponible, accueillant comme Marie. Quelle plus belle aventure que celle de la parentalité, vierge de toute « génitalité possessive » ? En adoucissant son orgueil, sa tentation de répudiation, Joseph ne rend-il pas hommage au Féminin qui gît en lui, grâce à cet Enfant que Dieu lui envoie ? Et Marie, à la foi et à la confiance inconditionnelles, malgré les rumeurs et médisances que le mystère de cette naissance allait susciter, ne fait-elle pas montre d'un courage à la hauteur d'une Masculinité qui sommeillait déjà en elle ? Jésus serait-il celui qui fait se rencontrer en chacun de nous, le Féminin et le Masculin ?
Réaliser une alchimie du masculin et du féminin
Les revendications féministes très politiques, dans les années 70, ont sans doute contribué à accentuer l'idée d'une opposition de nature et de culture entre la Femme et l'Homme. Devons-nous faire de nos différences une division, une opposition ? Là encore, la Bible, étonnamment moderne, peut être éclairante sur l'origine de ce Malentendu ancestral : Eve a été créée de la côte d'Adam pour les uns, du côté d'Adam pour les autres, plus proches du texte hébreu. Quoiqu'il en soit, Adam ne s'écrie-t-il pas, ravi : « Pour le coup, c'est l'os de mes os et la chair de ma chair !
Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée de l'homme, celle- ci[1] ! ».
Une vision toute patriarcale de ce texte, fondateur de la culture judéo-chrétienne, voire aussi musulmane, a projeté sur ce point un rapport quantitatif d'inégalité entre l'homme (une personne), et la femme (simple partie d'une côte d'Adam)… N'était-il pas plutôt question de l'étroite complicité, proximité du Féminin et du Masculin ? N'était-ce pas la voie à trouver d'une alchimie, d'une unité originelle du Féminin et du Masculin qu'il s'agit de reformer psychiquement ? A voir la récente prise de conscience d'un manque de communication, la quête croissante de rencontres interculturelles et inter-religieuses des individus aujourd'hui, les consultations thérapeutiques qui explosent ces 15-20 dernières années, - on peut avancer l'hypothèse que nous amorçons lentement une réunification intérieure de nos contraires. Est-ce à dire que l'homme doit prendre conscience qu'il comporte en lui un pôle féminin et un pôle masculin (l'anima et l'animus dont parlait Jung), et de même pour la femme ? Ce qui porte encore atteinte à la dignité de la Femme, et ce qui handicape l'Homme d'une partie de lui-même, n'est-ce pas l'ignorance de ce que chacun abrite en lui-même, croyant devoir arracher à l'autre ce qui lui a été confisqué ? Tant que je convoite la masculinité de l'autre, en ignorant que j'en ai une en moi-même, je ne peux qu'entretenir un climat tendu, parfois même agressif, envers l'autre. Et l'Homme, victime de la même inconscience, se hâter de rabaisser ou de minimiser ce que la Femme réclame, qui n'appartient qu'à lui…
Redécouvrir le spirituel (le Féminin) refoulé en nous, ou la suprématie de l'Amour
En connaissant, et en approchant nos textes bibliques de manière moins littérale, en informant davantage, en enseignant leur contenu initiatique encore méconnu, on s'apercevrait sans doute que Jésus (et il n'est pas le seul Messager concerné), nous a laissé des paraboles que nous serions à même d'entendre et de comprendre plus tard. Une femme a assisté à la Résurrection de Jésus, et croit en ce phénomène sans s'en effrayer le moins du monde. Cette Femme, c'est Myriam de Magdalena (appelée aussi Marie-Madeleine), qui, dans le manuscrit apocryphe de L'Evangile de Marie – non reconnu par l'Eglise catholique – a reçu des enseignements secrets de Jésus. Des enseignements à elle seule, et que la misogynie de Pierre lui conteste : « Simon Pierre lui disait :
Que Marie sorte de parmi nous
parce que les femmes
ne sont pas dignes de la Vie. »
Jésus répondit :
« Voici que je la guiderai
Afin de la faire Homme [Anthropos].
Elle deviendra, elle aussi,
un souffle vivant semblable à vous, Hommes.
Toute femme qui se fera Homme
Entrera dans le Royaume de Dieu[2]. »
Les traducteurs ont traduit homme par mâle (d'où l'effet de censure immédiate de l'Eglise d'une telle ineptie !). Le théologien orthodoxe J.-Y. Leloup se réfère au terme grec « anthropos », qui signifie « humain en général », « pleinement humain », « humain à part entière »… La Femme, confidente de l'enseignement ésotérique, spirituel, de Jésus, a un autre accès à la connaissance que l'homme, davantage axé sur la raison. L'intuition, l'imagination inspirée, sont à tort le privilège de Marie, croit Pierre, comme l'a cru toute l'humanité, jalouse de cette supériorité usurpée de la Femme, qui doit savoir rester à sa place… C'est-à-dire silencieuse, soumise, ou qualifiée d'hérétique (de sorcière au Moyen Age). Or ce que Jésus nous rappelle ici, c'est que nous avons tous en nous un Homme intérieur (psychique), un Homme essentiel, distinct de notre corps. Dès lors que l'Homme comprendra que lui aussi doit retrouver ce Féminin en lui (non violent, imaginatif, intuitif, spirituel), alors il n'aura plus besoin de rabaisser la Femme ou de la mettre sous le boisseau. Ni jalousie, ni opposition, mais complémentarité au-delà de leurs différences. Ni rivalité, ni rien d'extérieur à conquérir, si ce n'est ce qui est déjà en nous… « C'est à travers cette humanité que Dieu se révèle[3] »…
Il s'agit, plus quotidiennement, de dépasser une vision de la masculinité et de sa virilité comme inhérente au pouvoir extérieur, à l'agressivité, et à la maîtrise d'événements extérieurs. Assumer son pôle féminin, ce n'est pas, et n'a jamais été, se déviriliser. Alors il accordera le droit et la reconnaissance, à la femme, d'assumer la part de Féminin et de Masculin en elle, qui n'est ni esclave ni impératrice, mais tout simplement Elle, elle-même.
Pour une reconnaissance de la Femme par les représentants des religions
L'Evangile de Marie (comme celui de saint Luc, 8, 2), évoque la libération de Myriam de Magdalena d'entraves intérieures par Jésus lui-même : « Les Douze l'accompagnaient, ainsi que quelques femmes qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies : Marie surnommée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons[4] (…). » J.-Y. Leloup soupçonne que toutes ces Marie qui jalonnent le Nouveau Testament pourraient n'avoir été que diverses facettes…de la même Femme (morcelée, divisée, par une lecture littérale des textes). Une évolution de la Femme, en sept étapes, pour devenir à la fois compagne, mère et amie de Jésus. Le Nouveau Testament, à la suite de l'Ancien, serait-il l'histoire intérieure d'un long chemin d'unification et d'intégration que nous devons tous réaliser en faveur de la paix (en soi, puis hors de soi) ? Myriam de Magdalena, une Femme donc, aurait été la 1ère à nous ouvrir la voie, en initiatrice qu'elle est. Une femme qui « ne s'enfermait pas dans un seul rôle ou dans une seule possibilité de relation avec Jésus », grand libérateur. Comme la « pécheresse » de saint Luc (7, 36) qui, ayant appris que Jésus déjeunait chez les Pharisiens, vient lui offrir un vase de parfum. Versant ses larmes ainsi que son parfum sur les pieds de Jésus, la voilà pardonnée, au grand dam des hôtes du Christ. Elle est la seule à avoir donné de l'amour à Jésus… Cette femme, loin de s'humilier, sait révéler sa grandeur : elle ne cherche pas à imposer une image d'elle-même ; elle assume qui elle est.
Si 2008 a été déclarée l'année du dialogue inter-religieux, alors il faut y inclure l'année de la sortie de la femme de l'illusion de son inégalité d'avec l'homme. Les injustices sociales à son égard ne font pas d'elle une personne inférieure à l'homme, si elle prend conscience de qui elle est : la grande Initiatrice de tous les temps. Conteuse d'histoire, Mère de tous les humains, Nourricière, sans elle, personne n'est, l'humanité n'est pas… Homme et femme ont été créés d'une seule et même âme (mêle et femelle à la fois), et sont déjà égaux. Un niveau de conscience supérieur s'annonce peut-être, une conscience de notre identité duale (Féminin et Masculin) mais unifiée, un monde où nous apprendrions à résoudre d'abord nos conflits intérieurs avant d'en accuser l'extérieur, en quête de boucs émissaires ou de faux débats. L'enseignement de nos textes religieux permettrait à cet égard, de voir resurgir la dignité originelle de la Femme et du Féminin, de la Vulnérabilité librement acceptée, qui sont sans doute la clé d'un équilibre, d'un monde davantage en paix. Un monde où, que l'on soit homme ou femme, on sache savoir perdre, pour gagner l'essentiel : savoir qui nous sommes et devenir nous-mêmes… Les Evangiles – canoniques comme apocryphes – nous invitent à nous rendre libres à l'égard de nos dualités, qui nous diabolisent, nous déchirent. Les religions monothéistes encore patriarcales, les hommes et les femmes, pourront alors percevoir que ce n'est pas à un sexe plus qu'à un autre que Dieu se révèle, mais à travers l'humanité de chacun.
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